Quand Sona Jobarteh pose ses mains sur les poignées de sa kora, son visage se ferme et son regard se fige. Au moment où ses pouces effleurent les cordes, il se produit autour d’elle comme une libération. Les premières notes vous emmènent, les suivantes vous bercent. Le temps, lui, reste suspendu.
Que l’on vienne du Mali, de Guinée, du Sénégal ou de Gambie, les patronymes sont toujours les mêmes lorsqu’on est gardien de la tradition orale. Quand on s’appelle Susso, Diabaté, Kouyaté, Konté ou Jobarteh, on sait depuis toujours que ses ancêtres étaient des virtuoses du chant, des poètes, des artistes de la parole et des instruments. Sona Jobarteh, qui se produira au festival Africajarc de Cajarc (Lot) samedi 21 juillet, vient d’une des cinq plus grandes familles de griots d’Afrique de l’Ouest.

Culture mandingue

Née en 1983 à Londres d’une mère anglaise et d’un père gambien, elle est la petite-fille d’Amadu Bansang Jobarteh, maître griot incontesté de la kora. Elle est aussi la cousine de Toumani Diabaté qui a fait vibrer les cordes de sa harpe à calebasse sur les scènes du monde entier. « La kora fait partie de ma tradition familiale, explique la musicienne. Avec cet instrument, le défi est de maîtriser un répertoire où la tradition est omniprésente et comprend des centaines de chansons qui racontent la gloire d’un empire séculaire. »

La kora fait partie de l’identité et de la culture mandingue, qui s’étend sur une grande partie de l’Afrique de l’Ouest. Unifié par Soundiata Keïta, fils de Naré Maghann Konaté, le territoire dont les frontières actuelles se situent à cheval sur le Mali, la Mauritanie, la Guinée, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Niger et le Sénégal fut l’un des plus prospères de la région au XIIIe siècle.

L’origine de l’instrument est entourée de nombreuses légendes. L’une d’elles raconte que la première kora fut offerte par les esprits de la montagne de Kabou, dans l’actuelle Guinée-Bissau, il y a près de sept cents ans. Tiramakhan Traoré, un général de Soundiata Keïta, serait parti vers Kabou avec son griot appelé Djélimady Oulé afin de ramener une femme cachée au fond d’une grotte. En lançant un filet pour attraper la belle, les hommes auraient remonté une demi-calebasse recouverte d’une peau de bœuf et surmontée d’un manche tendu avec 22 cordes. Le griot s’en serait servi comme d’un instrument et la jeune femme, émerveillée par la beauté des notes, serait sortie de la caverne. C’est en hommage à Djélimady Oulé que, après sa mort, on aurait retiré une corde à l’instrument initial qui en compte aujourd’hui 21, bien qu’il existe quelques variantes – certaines koras sont montées avec un nombre de cordes variable de 22 à 28 – en Casamance notamment.

Très exigeant

Sona Jobarteh, que Le Monde Afrique a rencontrée lors du Festival Kokopelli qui s’est tenu au Mas d’Azil (Ariège) début juin, a été initiée à la kora par son frère Tunde Jegede, reconnu comme un maître de la kora et un virtuose du violoncelle. « J’ai commencé à l’âge de 4 ans avec lui, explique la musicienne. Il m’a enseigné les bases de cet instrument très exigeant. » Aujourd’hui elle n’est pas la seule femme à jouer de la kora, mais elle est la seule à interpréter sur scène le répertoire traditionnel des griots. Il y a toutefois une limite qu’elle ne s’autorise pas à franchir. « Je peux jouer et chanter ce registre mais ne souhaite pas le faire pendant une cérémonie comme un mariage ou un baptême, explique t-elle. Cela serait difficile pour moi et mal accepté. Lors d’un concert, il n’y a en revanche aucun problème. »

 

Ecolière studieuse et réservée, Sona Jobarteh grandi entre Banjul, capitale de la Gambie, Londres et Oslo, où son père fut muté. Joueuse de piano, de violoncelle et de clavecin (elle maîtrise aussi la guitare sans avoir suivi de formation), elle étudie au célèbre Royal Collège of Music de Kensington, dans le plus cossu des arrondissements londoniens, puis suit des cours à la Purcell School of Music où elle apprend à composer. Sona Jobarteh a une quinzaine d’années lorsqu’un professeur tente de la dissuader de poursuivre son apprentissage de la kora. « Il disait que l’instrument n’était pas dans les tonalités du moment sans comprendre que la musique puisse venir d’ailleurs », se souvient-elle.

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