C’était à la mi-août. Renvoyée des urgences de Besançon après avoir été diagnostiquée d’une fausse couche, une jeune femme a expulsé seule dans sa baignoire un fœtus de trois mois. Relayée par L’Est Républicain, l’histoire a ému et pose évidemment la question de la prise en charge et de l’accompagnement des femmes dans une telle situation. "De l’accompagnement ? Du non accompagnement plutôt", se souvient Marie-Amélie, dont la première grossesse en 2011 s’est soldée par une fausse couche. À l’époque, cette trentenaire parisienne se retrouve aux urgences gynécologiques de sa ville située en proche banlieue, inquiète de constater des pertes de sang. "Après pas mal d’attente, on m’a fait une échographie. Je me souviens très bien de la phrase prononcée par l’interne ce jour-là : ‘Madame, il n’y a plus d’activité cardiaque sur cette grossesse’". Sonnés, Marie-Amélie et son conjoint apprennent alors qu’il "faudra faire une échographie de vérification" et donc rentrer chez eux en l’état. "Ça a été le plus difficile pour moi, repartir de l’hôpital en sachant pertinemment que ça n’était pas fini, qu’il allait falloir ‘évacuer’ comme disent les médecins", se remémore à son tour Claire1. À 34 ans, la jeune femme en est à sa huitième semaine de grossesse lorsque, là encore, des pertes de sang inhabituelles la conduisent aux urgences gynécologiques de son lieu de villégiature, dans le sud de la France. "J’étais très inquiète. À l’accueil, tandis que je m’informais du temps d’attente, on ne m’a pas vraiment rassurée : 'Vous savez Madame, si c’est une fausse couche, il n’y a rien de plus à faire'". "Je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie, on ne m’avait pas prévenue" C’est finalement chez elles que Marie-Amélie et Claire expulsent leur embryon. "Vous repartez de l’hôpital avec du Cytotec (un médicament utilisée pour déclencher l’accouchement dans le cas d’une fausse-couche ou IVG médicamenteuse, ndlr) mais pas d’explications", note Claire. "J’ai cru que je mourrais avec leur médicament !", lâche Marie-Amélie. "Je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie et je ne savais pas que ça allait être si douloureux, on ne m’a pas du tout prévenue. Les antidouleurs à la codéïne qu’on m’avait prescrit n’ont eu aucun effet. Paniquée, j’ai demandé à mon conjoint d’appeler les urgences après m’être évanouie. Au téléphone on lui a juste dit que c’était ‘normal’." La pénible expérience ne s’arrête pas là. "Après cet épisode, ma gynécologue a constaté la présence de ‘résidus’, il a donc fallu passer par l’opération (dans certains cas, les médecins procèdent à une aspiration endo-utérine. Cet acte chirurgical se pratique sous anesthésie, en ambulatoire, ndlr)", détaille Claire. Même traitement pour Marie-Amélie à qui l’on fait d’abord ingurgiter une deuxième fois, et malgré d’évidentes réticences, les mêmes médicaments. "Ça n’a pas marché cette fois là non plus. Plusieurs semaines avaient passé depuis l’annonce du diagnostic. J’en avais marre, je voulais juste que ça s’arrête, passer à autre chose, d’autant que dès l ’échographie de vérification, ma gynécologue m’avait prescrit l’opération. L’hôpital ne l’a pas jugée nécessaire. Lorsque j’ai signifié ma lassitude à l’un des échographistes qui pratiquait un nouvel examen de contrôle, celui-ci m’a répondu 'Il fallait prendre la pilule !'. J’ai dû pleurer à l’hôpital pour enfin obtenir le curetage, au bout de 3 mois !". Et de préciser : "Mon cas a été décidé en commission des médecins et durant tout ce temps, on a continué à me faire venir aux urgences. Je me suis sentie incomprise, ignorée même, tant dans ma douleur psychique que physique. Au final, j’ai à cette époque passé plus de temps ‘en fausse couche’ qu’enceinte". Karine en est à un peu plus de 10 semaines de grossesse lorsque l’annonce de sa fausse couche est faite. "‘Ce n’est pas vraiment une mort in-utéro, en fait, avant vingt semaines on parle plutôt d’une grossesse arrêtée.’ Je n’ai rien dit quand le médecin m’a dit ça, j’étais trop figée par la surprise de la mort. Quand même, cette phrase à elle seule exprime bien à quel point les fausses-couches, même tardives, sont banalisées par le paradigme médical", observe cette sage-femme installée au Québec. Bien qu'elle soit difficilement quantifiable, "la survenue d’une fausse couche précoce (avant 14 semaines d’aménorrhée) complique plus de 10 % des grossesses", estime le Pr Xavier Deffieux, chirurgien gynécologue-obstétricien à l’Hôpital Antoine Béclère AP-HP à Clamart, soulignant que ce chiffre varie avec l’âge maternel. "Le minimum est de 10 % des grossesses chez les femmes de 22 ans. Il atteint 20 % pour un âge maternel de 35 ans, 40 % à 40 ans et dépasse les 70 % après 45 ans." L’âge paternel, "de plus de 45 ans" est également un autre des facteurs de risques associés. De la neutralité à l’indifférence des médecins… et des proches "Après onze semaines et quatre jours à fabriquer et porter mon bébé, dont neuf jours à le porter mort, ce que les livres décrivent comme un produit de conception est à mes yeux mon quatrième enfant. Pour moi il a bel et bien existé, il sera aimé bien au-delà de sa mort et jamais je ne l’oublierai", raconte Karine dans un long billet posté sur son blog2. Que ce soit à l’hôpital ou chez sa gynécologue, Marie-Amélie se souvient de paroles très rationnelles visant à atténuer son chagrin. "On m’a dit que c’était de la faute de personne, que ça arrivait, qu’à ce stade là c'était fréquent, que c’était sans doute une mauvaise évolution des cellules". Qu’importe, "J’étais furieuse, contre tout et tout le monde. J’entendais bien le discours ‘ça arrive à plein de gens, c’est banal’, sauf que ça ajoutait comme de la honte sur ma tristesse. Peut-être que j’aurais aimé à un moment qu’on me dise plutôt ‘Vous voulez voir un psy ?’". Du côté de Claire, son entourage qui se veut alors plein de bonnes intentions ne fait qu’accroitre son sentiment de solitude et d’incompréhension. "On me disait que ça n’était ‘pas grave’, que j’ ‘en aurais d’autres’, raconte-t-elle. De quoi la mettre mal à l’aise vis à vis de sa propre peine. "Tout ça ne me réconfortait pas vraiment. J’étais triste et je me sentais presque coupable de l’être." Face à ces témoignages, Marie-José Soubieux, pédopsychiatre et psychanalyste, auteure du livre Le berceau vide3, insiste sur l’impact du recul affiché, voire de l’indifférence de façade adoptée par les professionnels de santé ou les proches. "Il est important d’instaurer rapidement un dialogue plutôt que de vouloir tenter de rassurer à tout prix, ou, a contrario, de banaliser le sujet jusqu’à en faire un non événement", analyse l’experte. Si médicalement, une fausse couche est "rarement grave, c’est psychologiquement très difficile même si les femmes savent que c’est très fréquent", admet le Pr Xavier Deffieux qui note que "la dépression et l’anxiété sont des symptômes fréquents après une fausse couche chez 10 à 50% des femmes dans les premiers mois suivant celle-ci". Le professionnel se veut néanmoins rassurant quant à cet état : "à distance de l’évènement, les femmes ayant fait l’expérience d’une fausse couche présentent des scores de dépression et/ou d’anxiété identiques à ceux de la population générale". Et d’ajouter que "la prise en charge psychologique systématique après un épisode de fausse couche ne semble toutefois pas apporter un bénéfice évident à un an de la fausse couche, en terme d’amélioration des différents scores d’anxiété et de dépression." À l’hôpital, rien n’oblige actuellement les soignants à proposer une consultation psychologique aux femmes en situation de fausse couche. Ni Marie-Amélie ni Claire n’ont le souvenir d’avoir été redirigées, à aucun moment, vers un psychologue. Selon les établissements, ce type de prise en charge est néanmoins apporté aux patientes victimes d'une fausse couche tardive ou à répétition. "À l’époque, c’est sur Internet, grâce à des forums d’entraide, que j’ai pu exprimer ma peine et trouver le soutien dont j’avais besoin, auprès d’autres femmes dans la même situation que moi", se remémore Claire. Verbaliser l’expérience pour mieux la mettre à distance "Chaque fausse couche se vit différemment : pour certaines femmes, ‘ça’ n’était qu’un amas de cellules, pour d’autres il s’agissait déjà d’un bébé. Dans tous les cas il s’est passé quelque chose, il y a eu une ‘perte’, parfois de la peur, souvent des images traumatisantes –du sang, un malaise, l’expulsion de matières organiques- et il faut pouvoir mettre des mots dessus pour les mettre à distance et surmonter les possibles inquiétudes quant au futur", affirme Marie-José Soubieux. Parfois, un simple "Comment vas-tu ? J’ai appris ce qu’il t’est arrivé", suffit à ouvrir la porte. Un avis partagé par les 80 bénévoles de l’association Agapa4, l’une des seules en France à s’être spécialisée dans l’accompagnement des femmes en situation de deuil périnatal. "Nous proposons un parcours psychologique –établi avec des psychologues professionnels- de 18 séances", explique Laure Rialliand, l’une des accompagnantes. "L’idée est de les aider à procéder au deuil de ce qui a été et n’est plus, à surmonter le traumatisme pour celles qui l’ont vécu comme tel et à retrouver l’estime d’elles-mêmes, notamment dans les cas de fausses couches à répétition. Il y a un début et une fin à ce processus établi sur une durée qui varie entre six mois et un an. Parfois, ce travail fait ressurgir d’autres problématiques liées à l’histoire personnelle de chaque femme. Dans ce cas, nous les redirigeons vers des professionnels qui pourront les prendre en charge au long cours." Difficultés d’écoute de la part des proches mais aussi et surtout manque d’empathie de la part de certains soignants rencontrés, nombreuses sont les femmes à "arriver chez nous en doutant de la légitimité de leur peine", soupire Laure Rialliand. Et de constater : "Nous intervenons régulièrement dans différents établissements hospitaliers pour former les soignants dans la prise en charge psychologique de ces femmes. Malheureusement, si j’y vois régulièrement infirmières et sages-femmes, je dois dire que je n’y croise quasiment jamais de médecins. Or, ce sont eux qui sont en première ligne face à ces patientes." "Je l'appelais ‘mini vortex’ dans ma tête, parce qu'il me pompait toute mon énergie", se souvient Marie-Amélie. "Bien sûr, je ne l’imaginais pas du tout comme un être humain à ce stade, mais il y avait ‘quelque chose’ en devenir, la possibilité d’un bébé en tout cas. J’aurais aimé être mieux orientée et surtout plus écoutée", résume-elle. "C’était bien plus qu’un embryon ou des résidus à évacuer, si j’emploie le vocabulaire médical. C’était mon enfant que je venais de perdre", ajoute Claire. Et de conclure : "Cette fausse couche n’a jamais rien eu de ‘fausse’ pour moi."

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