« Pardon docteur, dis-moi quelles sont les meilleures méthodes contraceptives. » « C’est quoi l’anémie ferriprive ? » « Comment éviter les déchirures pendant l’accouchement ? » Pratiques, médicales ou plus intimes, les questions s’affichent sur l’écran d’ordinateur du docteur Loweh Limnyuy. « J’en reçois une cinquantaine chaque jour », estime le praticien de 28 ans, qui répond par écrit à chaque demande depuis son bureau de Yaoundé. « Si le problème me semble trop sérieux ou compliqué, j’appelle directement, précise-t-il. Cela m’arrive quelques fois par semaine. »

A l’autre bout de la ligne (les questions sont envoyées par SMS), des Camerounaises qui se sont abonnées, moyennant 50 francs CFA (0,08 euro) par semaine, à une assistance téléphonique pour femmes enceintes. Lancée en novembre 2013, cette application, conçue par la start-up GiftedMom, a déjà été utilisée par plus de 100 000 femmes. L’entreprise passe désormais un cap : le recours à un algorithme d’intelligence artificielle. Depuis novembre 2017, Loweh Limnyuy est assisté, dans sa fonction de « responsable du contact utilisateur », par un « chabot », un robot conversationnel.

Les femmes qui possèdent un smartphone peuvent se connecter via Facebook Messenger et converser directement, sans qu’elles en aient forcément conscience, avec une machine. Dans deux tiers des cas, le robot est capable de répondre et leur envoie directement des informations adaptées. Dans les cas plus compliqués, le docteur reprend la main. Outre ce service, l’application rappelle automatiquement par SMS à chaque abonnée ses rendez-vous obligatoires de suivi de grossesse et envoie des informations sanitaires ad hoc.

 

« Croyances irrationnelles »

 

C’est lors de ses études de médecine qu’Agbor Ashu, cofondateur de GiftedMom, a découvert, en intervenant dans des zones rurales, que nombre de femmes n’avaient pas accès à des informations de qualité. « Certaines pensaient qu’il était plus dangereux d’accoucher au dispensaire que dans leur propre maison, se souvient-il. Il y a encore beaucoup de croyances irrationnelles autour de la maternité. » D’où la création de cette application qui s’attaque à un fléau national : chaque année au Cameroun, près de 6 000 femmes décèdent en couches et, selon le Programme national de lutte contre la mortalité maternelle et infanto-juvénile, plus de 60 nouveau-nés meurent quotidiennement.

Agbor Ashu place de grands espoirs dans les chabots pour permettre de conseiller un plus grand nombre de femmes. Mais « c’est une nouveauté au Cameroun », reconnaît-il. Pour en profiter, il faut avoir un smartphone, que seul un tiers de la population possède, mais aussi « comprendre comment cela fonctionne » : « Nous devons en faire la publicité pour mieux expliquer. »

La start-up, qui est en recherche de financements supplémentaires pour accélérer son développement, espère utiliser ces algorithmes pour envoyer des quiz et améliorer les connaissances sanitaires de ses utilisatrices. Des actions ont déjà été menées avec des ONG et le Fonds des Nations unies pour la population, précise Agbor Ashu : « D’autres partenariats avec des institutions internationales ou des groupes agroalimentaires sont à l’étude. »

Après quelques mois, le chabot livre déjà ses premières statistiques : les articles que l’algorithme a le plus envoyés pour répondre aux demandes des futures mamans sont « Quels sont les premiers signes de grossesse », « Comment manger sainement quand on est enceinte » et « Comment éviter de pleurer pendant l’accouchement ». En décembre 2017, le docteur Loweh Limnyuy a reçu, lui, la première photo numérique d’un bébé dont la maman avait bénéficié de ses conseils.

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