PÉKIN — L’Organisation mondiale de la santé a estimé mardi qu’il y avait une «chance réaliste de stopper» la propagation dans le monde du nouveau coronavirus, qui reste une «très grave menace» et a dépassé la barre des mille morts en Chine.Ce sont au total 1110 personnes qui ont perdu la vie en Chine continentale (hors Hong Kong et Macao) depuis que la première mort imputée au nouveau coronavirus y a été rendue publique le 11 janvier, ont annoncé mercredi les autorités de la province du Hubei, épicentre de l’épidémie, où 94 nouveaux décès ont été répertoriés. Plus de 44 200 personnes ont été contaminées dans tout le pays, selon des chiffres du gouvernement. Mardi, les autorités sanitaires avaient indiqué que le virus, apparu en décembre à Wuhan (centre) et désormais appelé le «COVID-19» — et non plus le «2019-nCoV», un nom adopté à titre provisoire — , avait provoqué 108 nouveaux décès en 24 heures, le plus lourd bilan sur une telle durée enregistré à ce jour. En revanche, comme à plusieurs reprises depuis la semaine dernière, le chiffre des nouveaux cas quotidiens (2478) avait diminué par rapport à la veille. «Si nous investissons maintenant [...] nous avons une chance réaliste de stopper cette épidémie», a déclaré mardi à Genève le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. «Cela reste une grande urgence» pour la Chine, «mais cela constitue aussi une très grave menace pour le reste du monde», avait-il déclaré plus tôt, au cours d’une conférence réunissant jusqu’à mercredi 400 scientifiques dans cette ville suisse. À l’ouverture de la réunion, qui passera en revue les moyens de combattre l’épidémie, il a appelé tous les pays à faire preuve de «solidarité» en partageant leurs données. Les ministres européens de la Santé se retrouveront jeudi à Bruxelles pour discuter de mesures coordonnées. Scénario redouté En dehors de la Chine continentale, le virus a entraîné la mort de deux personnes, une aux Philippines et une autre à Hong Kong, et plus de 400 cas de contamination ont été confirmés dans une trentaine de pays et territoires. Mais un scénario redouté s’est concrétisé : sans avoir jamais mis les pieds en Chine, un Britannique ayant contracté le coronavirus à Singapour l’a transmis à plusieurs de ses compatriotes lors d’un séjour dans les Alpes en France, avant d’être diagnostiqué en Grande-Bretagne. Cet homme, qui a affirmé mardi être «complètement rétabli», a ainsi accidentellement transmis le COVID-19 à onze autres personnes — cinq hospitalisées en France, cinq en Grande-Bretagne et une sur l’île espagnole de Majorque —, selon les informations disponibles. La détection de ce petit nombre de cas pourrait être «l’étincelle qui finira par un plus grand feu» épidémique, s’était alarmé dès lundi M. Ghebreyesus. Jusqu’alors, la majeure partie des contaminations identifiées à l’étranger impliquait des personnes revenues de Wuhan. Mission d’experts Au Japon, la situation s’aggrave à bord du paquebot Diamond Princess, en quarantaine près de Yokohama, où 174 personnes sont désormais contaminées. Trente-neuf nouveaux cas, dont un responsable des opérations de quarantaine, ont été annoncés mercredi. «À ce stade, parmi les personnes [évacuées du navire] hospitalisées, quatre sont dans un état grave, sous assistance respiratoire ou soins intensifs», a précisé le ministre japonais de la Santé Katsunobu Kato. Le Diamond Princess compte 255 Canadiens à son bord. À Hong Kong, plus de cent personnes ont été évacuées mardi d’une tour de 35 étages après la découverte de deux cas à deux étages différents, les autorités s’interrogeant sur une éventuelle contagion au travers de canalisations. Les États-Unis ont autorisé les employés non indispensables à la bonne marche de leur consulat à Hong Kong à quitter ce territoire sur la base du volontariat, «par mesure de précaution». Pendant ce temps, une mission internationale d’experts de l’OMS est arrivée en Chine. Dirigée par Bruce Aylward, un vétéran de la lutte contre l’épidémie Ebola, elle a pour mission d’étudier l’origine du nouveau coronavirus et ses effets. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, en conférence de presse à Genève, lundi. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, en conférence de presse à Genève, lundi. AP, SALVATORE DI NOLFI + CE QU'ON L'ON SAIT OU PAS Taux de mortalité, niveau de transmission, moment où un malade devient contagieux, période d’incubation: de nouvelles données commencent à dessiner les contours de l’épidémie provoquée par le nouveau coronavirus apparu en Chine, même si de nombreuses inconnues demeurent. Quel taux de mortalité? Plus mortel que la grippe saisonnière, mais moins virulent que les précédentes épidémies liées à un coronavirus: voilà où semble se situer la dangerosité du nouveau virus officiellement baptisé Covid-19 mardi, même si l’on ne connaît pas encore avec précision son taux de mortalité. Pour l’heure, 1.016 décès ont été recensés sur plus de 42.600 cas confirmés en Chine continentale (soit 2,4%). Hors de ce pays, le virus a tué deux personnes, une aux Philippines et une autre à Hong Kong, et plus de 400 cas de contamination ont été confirmés dans une trentaine de pays et territoires. Les estimations de taux de mortalité doivent être prises avec prudence, car on ignore combien de personnes sont réellement infectées. Dans une étude rendue publique lundi, des chercheurs de l’Imperial College de Londres estiment le taux de mortalité à 18% parmi les cas détectés dans la province de Hubei, épicentre de l’épidémie. En revanche, au niveau mondial, ils l’évaluent à «environ 1%», avec une fourchette d’incertitude allant de 0,5% à 4%. Pour cela, ils se basent sur la proportion de cas positifs parmi les passagers rapatriés vers le Japon et l’Allemagne, en intégrant une estimation des cas qui ne présentent pas de symptômes. Les deux précédentes épidémies mortelles causées par un coronavirus, le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) et le Mer (syndrome respiratoire du Moyen-Orient), s’étaient montrées bien plus virulentes. En 2002-03, le SRAS avait fait 774 morts dans le monde sur 8.096 cas selon l’OMS, soit un taux de mortalité de 9,5%. Toujours en cours, l’épidémie de Mers a fait 858 morts sur 2.494 cas depuis septembre 2012, soit 34,5% de mortalité. La grippe saisonnière est bien plus mortelle en chiffres absolus, puisqu’elle fait entre 290.000 et 650.000 morts par an dans le monde, selon l’OMS. Outre la dangerosité du virus, c’est aussi sa capacité à se transmettre qui déterminera la gravité de l’épidémie. «Un virus relativement peu agressif peut quand même faire de gros dégâts si beaucoup de gens le contractent», souligne Michael Ryan, directeur des programmes d’urgence de l’OMS. Quel niveau de contagion? Dans une étude publiée par la revue américaine NEJM, des chercheurs chinois ont estimé que chaque malade infectait en moyenne 2,2 personnes (c’est le «taux de reproduction de base» de la maladie, ou R0). C’est plus que la grippe (1,3), nettement moins que la rougeole (plus de 12), et comparable au SRAS (3). A l’échelle mondiale, l’ampleur de l’épidémie dépendra du degré de transmission du virus hors de Chine. «Un petit nombre de cas pourrait être l’étincelle à l’origine d’un plus grand incendie», a averti lundi le N.1 de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Il faisait référence au cas d’un Britannique contaminé à Singapour, qui a ensuite transmis le virus à une dizaine de personnes au total, en France puis en Grande-Bretagne. La perspective d’une multiplication de ce genre de cas inquiète. Car pour chaque patient infecté, les autorités sanitaires du pays concerné doivent retrouver les personnes avec lesquelles il est entré en contact et s’assurer qu’elles n’en contamineront pas d’autres à leur tour. Or, si les contaminations hors de Chine se multiplient, cette procédure appelée «contact tracing» sera de plus en plus compliquée à mettre en oeuvre. Quels modes de transmission? Le virus se transmet essentiellement par voie respiratoire et par contact physique. La transmission par voie respiratoire se fait dans les gouttelettes de salive expulsées par le malade, par exemple quand il tousse. Les scientifiques estiment que cela nécessite une distance de contact rapprochée (environ un mètre). Pour se prémunir d’une contamination, les autorités sanitaires insistent sur l’importance des mesures-barrières: se laver les mains fréquemment, tousser ou éternuer dans le creux de son coude ou dans un mouchoir jetable, porter un masque si on est malade... Par ailleurs, la diarrhée pourrait être une voie secondaire de transmission. Quand devient-on contagieux? C’est l’une des questions-clés. Initialement, les scientifiques estimaient que la contagion démarrait «plusieurs jours après le début des symptômes», comme pour le SRAS, explique à l’AFP le Pr Arnaud Fontanet, de l’Institut Pasteur. Mais les experts pensent maintenant qu’elle pourrait débuter plus tôt, au tout début des symptômes voire avant. Selon le Pr Fontanet, la part des contagions dues à des malades sans symptôme «reste probablement limitée». En effet, la toux est un vecteur important de transmission du virus, or, un patient sans symptôme ne tousse pas. Mais même limités, ces cas peuvent compliquer le contrôle de la propagation du virus: impossible en effet de repérer un malade qui n’a pas de symptôme. De même, les personnes ayant peu de symptômes peuvent facilement passer sous le radar. Quelle durée d’incubation? En analysant les données de 1.100 cas confirmés en Chine, une équipe de chercheurs chinois évalue la durée d’incubation médiane à trois jours, selon leur article mis en ligne lundi. C’est plus court que les estimations précédentes: l’OMS tablait sur un délai de deux à dix jours entre l’infection et l’apparition des premiers symptômes, tandis qu’une étude chinoise évoquait 5,2 jours en moyenne, avec une forte variation. Ces estimations préliminaires ont conduit à fixer à 14 jours la période d’observation ou de quarantaine pour les cas suspects et les personnes rapatriées. Mais selon les données des experts chinois publiées lundi, le délai d’incubation pourrait aller jusqu’à 24 jours dans certains cas. Quels symptômes? Le tableau clinique de la maladie respiratoire provoquée par le nouveau coronavirus se précise avec les données de 1.100 cas confirmés dans 31 provinces chinoises, analysés par des chercheurs de tout le pays. La plupart des malades ont eu de la fièvre et les deux tiers toussaient, mais les cas de diarrhée ou de vomissements restaient rares. Un quart d’entre eux avait au moins une maladie pré-existante (hypertension, maladie des poumons...) L’âge médian de ces malades est de 47 ans (seuls 0,9% ont moins de 15 ans), 58% sont des hommes et un peu plus de 2% sont des professionnels de santé. Sur les 173 patients considérés comme des cas graves lors de leur admission à l’hôpital, l’âge médian était plus élevé de 7 ans et plus du tiers avait déjà une autre maladie. Il n’existe ni vaccin ni médicament contre le coronavirus, et la prise en charge consiste à traiter les symptômes. Certains patients se voient malgré tout administrer des antiviraux, dont l’efficacité est en cours d’évaluation. Quelle origine? Le nouveau coronavirus est sans doute né chez la chauve-souris, mais les scientifiques pensent qu’il est passé par une autre espèce avant de se transmettre à l’homme. Des chercheurs chinois ont affirmé que cet animal intermédiaire pourrait être le pangolin, petit mammifère à écailles menacé d’extinction. La communauté scientifique internationale a jugé cette hypothèse plausible, en ajoutant toutefois qu’elle devait être vérifiée.

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