La lutte avec frappe, une spécificité sénégalaise, connaît un engouement qui font de ce sport le plus populaire du Sénégal et de ses pratiquants les mieux rémunérés des sportifs.

Les séances de lutte, organisées presque tous les dimanches, sont des spectacles complets comprenant non seulement des combats, mais aussi des chants et danses folkloriques rythmés par les tam- tams. Ce n'est pas la seule originalité de la lutte la sénégalaise. Dans ce sport les coups de poing sont autorisés, et à mains nues. Il est également permis le port d'amulettes et de gris-gris autour du cou, de la tête, des bras, de la ceinture, des cuisses et des jambes, pour se protéger du mauvais sort jeté par l'adversaire.

Ces pratiques mystiques sont rehaussées par la présence dans l' arène de sorciers et marabouts avec toute leur panoplie impressionnante d'articles sensés donner la victoire à leur poulain: cornes d'animaux, oeufs, poudres et décoctions, beau bénite et parfois pigeon et autres oiseaux et même..un serpent.

Sport amateur à ses débuts, la lutte avec frappe s'est professionnalisée. Elle offre aujourd'hui de très gros cachets, jusqu'à 150 millions de F CFA pour certaines de ces vedettes comme « Yékini » et « Tyson » qui s'affrontent le 4 avril au stade Léopold Sédar Senghor de Dakar. Le salaire minimum tournant autour de 50.000 F au Sénégal, on comprend l'engouement et les vocations que la lutte suscite dans la banlieue dakaroise où foisonnent des écoles de lutte.

Dans la cour ensablée de l'école élémentaire de la Zone B ( quartier de Dakar) qui fait office de terrain d'entraînement, s' activent de jeunes lutteurs de l'écurie « Fass ». Après des heures de jogging sous l'oeil de leur entraîneur, Ibra Mbaye, les « Tigres de Fass » (surnom des lutteurs de l'écurie Fass), torse nu, se divisent par petit groupe avant de s'affronter. « Nous nous entraînons six jours sur sept et sommes toujours prêt à lutter. En tant que professionnel, nous n'attendons pas qu'il y ait combat pour nous entraîner », explique un jeune lutteur de l'écurie. Le même spectacle est visible dans les plages de Dakar où, chaque soir, des dizaines de jeunes trottinent dans le sable fin puis engagent un corps à corps musclé. L'entraînement comprend aussi beaucoup de musculation, de boxe voire de judo.

Avant de devenir des professionnels, ces jeunes auront fait leurs premières armes dans des séances de lutte simple, sans frappe, organisée le soir dans les quartiers.C'est là qu'ils se forgent une réputation et se font un nom ou un surnom : le « Tigre de Fass », le « Lion », le « Boy » (l'enfant). Leur carrière professionnelle commencera plus tard en première partie des grands combats. La lutte traditionnelle, très populaire au Sénégal où elle se pratique dans tous les villages après les récoltes, a pris sa nouvelle forme dans les villes en intégrant la boxe, d'où l' appellation de « lutte avec frappe ».

« Le lutteur peut donner des coups et recourir au corps à corps pour faire tomber son adversaire », explique le vice- président du Comité national de gestion de lutte au Sénégal, Cheikh Tidiane Ndiaye. Les lutteurs s'affrontent dans une arène délimitée par un cercle de sacs de sable. Le vainqueur de ce corps à corps est celui qui réussi à envoyer son adversaire au sol. « On ne désigne un vainqueur que s'il y a chute. C'est-à-dire lorsque les deux genoux et les deux mains d'un des lutteurs touche le sol ou lorsqu'il s'assoit sur ses fesses, littéralement couché sur le dos. Aussi quand la tête d'un des lutteurs touche le sol ou bien s'il est à plat ventre », ajoute M. Ndiaye.

En plus de sa dimension sportive, la lutte sénégalaise présente une caractéristique fortement culturelle. Les combats revêtent un aspect mystique : avant de combattre, les lutteurs s' enduisent de produits, arborent des gris-gris et font des libations, indique le sociologue du sport, Khaly Samb. « Ce port de gris-gris et autres usages mystiques se font dans une perspective d'avoir une force vitale de l'ancêtre clanique qui vient aider le lutteur. Et le gestuel, la danse traduit des symboles assez remarquables dans ce sens », analyse le sociologue.

Sport amateur à ses débuts, la « lutte avec frappe » s'est professionnalisée et attire de plus en plus de jeunes. « Les lutteurs sont regroupés en écuries et sont affiliés à la fédération qui est l'organe de gestion de lutte. Les cachets de lutteurs s'élèvent, désormais à des dizaines de millions de Francs CFA», renseigne, l'ancien directeur technique national de la fédération de lutte, Ibra Yade.

Il est difficile, selon M. Yade, de situer dans le temps, l' avènement de la « lutte avec frappe » au Sénégal, mais son évolution vers la professionnalisation s'est opérée dans les années 1980 à 1990. Analysant cette évolution, le sociologue Khaly Samb indique que la lutte sort du cadre traditionnel est tend vers un cadre universel. « Aujourd'hui, la lutte accroche le public à qui on offre un spectacle de qualité. Il y a toute une communication autour, des stratégies innovantes, créatives. Et désormais c'est une activité qui s'exporte car les images télévisées sont vendues au-delà de nos frontières », souligne M. Samb. Le spectacle de ces géants de près de deux mètres et pesant plus de 130 kilos, sur fond d'animation culturelle, qui s' affrontent comme des gladiateurs dans l'arène, continue de fasciner et d'attirer des foules énormes. Et aussi les publicitaires et les sponsors qui misent sur la popularité de ce sport de combat haut en couleurs.

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