L’histoire d’une jeune étudiante en droit à Paris qui, après une école de mode, décide de se lancer à Dakar, «sa ville», comme elle le répète si souvent, dont «le bouillonnement culturel l’inspire quotidiennement ». L’apprenti styliste, qui dessine des vêtements depuis son plus jeune âge, veut y tester son talent. Très vite, elle se fond dans le décor et rejoint le collectif des Petites Pierres, vivier de la jeunesse alternative qu’elle découvre alors. En 2012, Selly Raby Kane se fait connaître avec le lancement de la marque Seraka, puis devient une célébrité dans le milieu deux ans plus tard avec la collection «Alien Cartoon». Le défilé dans la monumentale gare de Dakar, avec une mise en scène sonore de l’artiste Ibaaku, attire 2 500 personnes. «Une vraie démonstration de force des jeunes créatifs de la ville», se souvient-elle aujourd’hui.

Nous la rencontrons au cœur de Dakar sous un soleil de plomb. Selly Raby Kane porte de grandes lunettes noires et un voile couleur brique posé sur son chignon. Elle est enveloppée d’une longue veste légère rose pâle et d’un ensemble assorti. Voilà le style dépouillé, incognito et presque inattendu de la styliste la plus populaire de la ville, connue pour ses créations futuristes. Un style qui a vite séduit, bien au-delà du Sénégal. Son attachée de presse est le plus souvent injoignable, et ses créations sont vendues dans les boutiques les plus pointues de New York, Paris et Lagos. Souriante, calme et humble, elle veut rester fidèle à l’esprit d’une œuvre guidée par ses dessins d’enfant, ses souvenirs. Pour comprendre les insectes géants ou les yeux exorbités qui viennent parfois orner ses créations, elle évoque la passion de son père pour les films d’horreur et, toujours, son amour pour Dakar, à « l’identité visuelle incomparable ». Son univers résume le tout : subtil mélange entre cartoons fantastiques, style urbain à l’occidental et tissus africains revisités.

Selly Raby Kane veut faire de sa nouvelle boutique l’épicentre de l’expression artistique de sa génération

 

Ses créations connaissent un succès fou en 2016 lorsque la chanteuse américaine Beyoncé est repérée dans les rues de New York habillée du « kimono-crevette », une pièce phare de sa collection « Birds of Dakar » (automne/hiver 2015), toujours disponible dans les basics du showroom. La puissance des réseaux sociaux apporte une résonance mondiale à la marque de la jeune styliste, devenue une référence pour les connaisseurs. Elle poursuit sa lancée en se diversifiant avec une facilité déconcertante. Elle réalise une série d’œuvres graphiques avec le photographe Omar Victor Diop, exposée à la foire internationale d’art Paris Photo. Elle joue les directrice artistique pour le Design Indaba Festival, incontournable en Afrique, puis s’improvise cinéaste. Sorti au printemps dernier et présenté à New York, son film “The Other Dakar” reçoit les honneurs de Robert De Niro, en plus du prix du meilleur film de réalité virtuelle du Tribeca Film Festival. Un souvenir « surréaliste », confie-t-elle. Mais la styliste ne compte pas s’arrêter là, impossible pour elle de se concentrer sur un seul médium pour exprimer sa créativité.

Elle espère faire de sa nouvelle boutique l’épicentre de l’expression artistique de sa génération, une sorte d’espace-laboratoire collaboratif transafricain. Pour « casser les codes » et encourager la jeunesse urbaine à « créer sa propre histoire », comme elle le fait à travers son parcours déjà hors normes, Selly Raby Kane dédie l’étage de son showroom, nommé « Mus Du Tux » (Les chats ne fument pas). Ici, les artistes travailleront des sculptures, des installations ou des expérimentations en tout genre.

En attendant ces performances inattendues et l’ouverture de ce rooftop lors de la prochaine Biennale de Dakar (mai-juin 2018), le showroom présente la collection automne-hiver 2017, « 17, rue Jules-Ferry », dans laquelle la styliste rend un hommage à Joe Ouakam (Issa Samb), l’artiste sénégalais mort en avril 2017 dont elle se proclame l’une des héritières. 
La saison printemps-été 2018 se révèle plus végétale. « Pichkari » est une expression de la végétation de l’Afrique de l’Ouest : un dialogue entre maximalisme et légèreté, extravagance et décontraction, toujours empreint de l’esprit fantasmagorique et décalé de la créatrice. 

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