Victime d’un terrible accident sur le circuit du Nürburgring en Allemagne en 1976, le triple champion du monde de Formule 1 est mort lundi à 70 ans. Niki Lauda n’aimait pas le mois d’août. Triple champion du monde de Formule 1 (1975, 1977, 1984), l’Autrichien n’appréciait pas ce « mois à tirer » sans piloter. Surtout chaque jour, le regard des autres lui rappelait ce 1er août 1976, lorsque, sur le circuit du Nürburgring, sa monoplace s’était embrasée. Coincé dans la carcasse de sa voiture, Niki Lauda restera 50 secondes au milieu des flammes. C’est encore en août, 2018 cette fois, que son état de santé s’était brusquement dégradé. Rapatrié d’Ibiza, où il passait ses vacances, il avait subi une transplantation pulmonaire le 3 août à l’hôpital de Vienne, en Autriche. Le lundi 20 mai, le président non exécutif de Mercedes, fondateur des compagnies Lauda Air et Niki, est mort à l’âge de 70 ans. Phenix, gladiateur, le recours à la mythologie s’impose pour parler de celui que les médias baptisaient « le robot » à ses débuts et dont l’humanité s’est révélée au fil de drames d’une incroyable violence. Les images de l’accident de 1976 ont fait le tour de la planète. Surnommé « l’enfer vert » par les pilotes, le tracé très accidenté du Nürburgring sillonne la forêt et se négocie pied au plancher quasiment sur toute sa distance. Au volant de sa Ferrari, Lauda frôle à pleine vitesse les rails de sécurité lorsque sa voiture part en tête-à-queue et heurte le bord de la piste. Niki Lauda, visage et poumons brûlés, est extrait du cockpit par trois pilotes qui se sont arrêtés alors qu’« un seul pompier armé d’un extincteur s’attaque au feu », rapporte Le Monde du 3 août 1976. Lorsque l’ambulance arrive après une dizaine de minutes, le champion est déclaré mort dans un premier temps avant d’être transporté à la clinique. Marlène, qu’il a épousée trois mois auparavant, et un prêtre accourent. Ce dernier lui donne l’extrême-onction mais Niki Lauda s’accroche à un souffle de vie. Le pilote racontera plus tard qu’il a tout vu, tout entendu, que le plus dur était de combattre le sommeil. « Je me trouve très bien avec mon visage » L’incroyable volonté de l’Autrichien s’est forgée dès l’enfance. Né le 22 février 1949 dans une famille de la grande bourgeoisie autrichienne, peu enclin aux études, le jeune homme a 17 ans lorsqu’il décide qu’il sera champion du monde de F1. « Mon grand-père [Hans Lauda] était, à Vienne un industriel du papier. C’était le patriarche, celui qui a dit “non” lorsque j’ai annoncé mon choix de devenir pilote professionnel. Mes parents étaient d’accord mais c’est lui qui décidait, raconte-t-il à Paris-Match le 9 octobre 2013. Alors j’ai abandonné la vie facile, les demeures et maître d’hôtel, j’ai loué une chambre à Salzbourg et cherché un sponsor. » Il contracte un prêt personnel de 400 000 francs [environ 61 000 euros] pour se lancer en F1 en 1972, « le meilleur de mes investissements ! », dira-t-il. Niki Lauda est doué. Le casse-cou des débuts laisse place au pilote raisonné. Lorsque le pilote français François Cevert meurt sous ses yeux pendant les essais du Grand Prix des Etats-Unis de 1973, il se dit : « Maintenant, tu ne commets plus d’erreur en pilotant, sinon tu vas te tuer. » Il excelle lors des séances matinales de réglages, faisant preuve d’une grande intelligence technique. Résultat, son rêve d’intégrer Ferrari se concrétise dès 1974 et il décroche son premier titre mondial en 1975. Couronné, sa notoriété reste pourtant en deçà de celle de ses prédécesseurs. « Son visage grave sur lequel l’apparition d’un sourire semble être un accident, n’est pas fait pour le servir », note François Janin le 15 septembre 1975 dans Le Monde. Dix mois plus tard, il est défiguré. « Je ne suis pas très beau à voir… moi qui porte ma cuisse droite en plein visage. Mais cela ne me démonte pas trop », écrit-il dans A la limite, sa biographie (éd. Solar, 1978). Alors qu’on lui proposait de lui greffer des cils, une oreille droite, des cheveux… il refuse. « D’abord c’était cher, ensuite le succès n’était pas garanti et enfin je me trouve très bien avec mon visage. Il me manque presque une oreille mais cela ne m’a jamais gêné. C’est plus facile pour moi de téléphoner… » L’humour, arme absolue contre la bêtise. Il en a besoin, le 12 septembre 1976, lorsqu’il effectue son retour insensé en course à Monza, six semaines seulement après avoir été déclaré mort. Le haut de sa tête est bandé, les médecins l’ont assuré que les vibrations en course feraient « tomber » ses greffes de peau. Il termine quatrième, mais là n’est pas l’essentiel. Il vient de gagner ce qui lui manquait : le cœur du public. « Rien n’a dû être plus difficile que de supporter l’excès de curiosité, souvent malsaine, qui a accompagné ses allées et venues, témoigne François Janin. Lauda n’était pas le grand pilote que l’on venait dévisager mais le brûlé dont il fallait apercevoir les blessures. A ce prix, il fait l’unanimité. » Niki Lauda ne refusait jamais un selfie, les gens l’interpellant d’un simple « Niki ». Ici sur le circuit de Barcelone le 27 février 2017. Niki Lauda ne refusait jamais un selfie, les gens l’interpellant d’un simple « Niki ». Ici sur le circuit de Barcelone le 27 février 2017. CAP Aucun ami, juste des adversaires Malgré l’accident, Niki Lauda reste dans la course pour le titre de 1976, qu’il rate d’1 point lors de la course de clôture au Japon. Sous des trombes d’eau, ses yeux fragilisés, Niki Lauda ne voit plus rien, il boucle un tour puis jette l’éponge. Certains diront qu’il a eu peur. Ce qu’Enzo Ferrari lui reproche, sans état d’âme. « A Suzuka, j’ai perdu un point. Au Paul-Ricard, à cause de votre carburateur qui a lâché, j’ai perdu neuf points », rétorque Lauda. L’Autrichien ne cède rien. Dès 1977, assuré de son deuxième titre avant la fin de la saison, il quitte Ferrari sans courir les derniers Grand Prix et rejoint Brabham, alors dirigée par Bernie Ecclestone, futur grand patron de la F1. Toutefois la lassitude s’installe. Le 28 septembre 1979, Niki Lauda ne prend pas part aux essais au Canada et rentre, aux commandes de son propre avion, en Europe. De cette période, Niki Lauda ne garde aucun ami, juste des adversaires. « Le “Grand Cirque” [la Formule 1] est un monde de concurrence féroce. Les gens qui y participent sont focalisés sur la compétition. (…) Mais qu’est-ce que cela veut dire de tourner en rond sur un circuit pendant des heures ? » Le pilote souhaite se consacrer à sa deuxième passion : l’aviation. Pionnier du charter privé, il fonde Lauda Air. Mais les deux chocs pétroliers de la décennie 1970 et le fisc autrichien qui lui réclame 600 000 dollars auront raison de la compagnie. Parallèlement, l’envie de piloter se ravive et en 1982, à 35 ans, il signe pour 2 millions de dollars son retour avec McLaren. A lui de s’adapter aux nouvelles monoplaces équipées de turbos. Niki Lauda termine cinquième cette année-là. Peu compétitif en 1983, il doit attendre le dernier Grand Prix de 1984, à Estoril, pour décrocher son troisième titre. Sa deuxième place derrière son jeune et ambitieux équipier Alain Prost lui suffit pour remporter la couronne… d’un demi-point. Les caisses renflouées, Niki Lauda prend à nouveau son envol, définitif cette fois, aux commandes de Lauda Air. Nouveau drame le 26 mai 1991. Le Boeing 767 assurant le vol Lauda Air Bangkok-Vienne s’écrase avec 223 personnes à bord. Aucune ne survivra. « Ce furent les pires moments de ma vie, dira-t-il en 2007. Quand je risquais ma vie, c’était mon choix. Là des gens avaient été tués dans un de mes avions. (…) J’étais détruit. » Boeing mettra huit mois à trouver l’erreur structurelle responsable de la catastrophe. Ne s’avouant jamais battu De santé fragile depuis 1976, Niki Lauda subit une première greffe de rein en 1997, grâce au « don » de son frère Florian. « Cela m’a appris une chose, explique-t-il alors dans VSD : plus les situations dramatiques sont nombreuses, mieux tu t’en sors à la suivante. » Une seconde greffe de rein est réalisée en 2005. La donneuse, Birgit, est sa future seconde femme. A l’aéroport de Düsseldorf (Allemagne), le 20 mars 2018. A l’aéroport de Düsseldorf (Allemagne), le 20 mars 2018. Leonhard Foeger / REUTERS Sur le front des affaires, face à l’opposition de sa direction, le patron de Lauda Air revend le 21 novembre 2000, sa compagnie à Austrian Airlines. A 51 ans, il « souffre comme un chien » rapporte Le Monde. Pour le triple champion de F1, l’aviation représente en effet plus qu’un job. Sa seconde passion l’équilibre. « En avion, tu dois respecter strictement les règles », explique-t-il dans une vidéo réalisée par Mercedes. Ne s’avouant jamais battu, il fonde en 2003 la compagnie low cost Niki, qu’il revend à Air Berlin en 2011. En janvier 2018, Lauda venait de racheter Niki, rebaptisée Laudamotion, et cédait le 20 mars, 75 % du capital à Ryanair, tout en en restant codirigeant. Beau coup ! Nommé directeur non exécutif de l’écurie Mercedes en 2012, il s’était confié à l’International Herald Tribune le 12 octobre 2013, à la sortie de Rush, biopic réalisé par l’Américain Ron Howard, sur le duel Niki Lauda-James Hunt de la saison 1976. Rush avait agi comme un révélateur sur le septuagénaire, qui a travaillé avec enthousiasme comme conseiller sur le tournage. « Ce qui est drôle – je ne l’avais jamais réalisé –, mais personne ne savait réellement ce que j’avais traversé [en 1976]. Maintenant tout le monde comprend pourquoi je n’ai pas d’oreille. Avant [le film Rush], ils pensaient tous : “Qu’est-il arrivé à ce pauvre type ?” Maintenant ils connaissent l’histoire. » Niki Lauda en dates 22 février 1949 Naissance d’Andreas Nikolaus Lauda à Vienne (Autriche). 1974 Intègre Ferrari. 1975 Champion du monde. 1er août 1976 Accident du Nürburgring. Rate le titre mondial d’1 point. 1977 2e titre mondial de F1. 1979 Arrête la compétition ; crée Lauda Air. 1982 Retour en F1 chez McLaren. 1984 3e titre de champion du monde. 1985 Arrête sa carrière de coureur automobile après 171 Grand Prix courus et 25 victoires,. 26 mai 1991 Crash du Boeing Lauda Air Bangkok-Vienne 21 novembre 2000 Revend Lauda Air à Austrian Airlines 2003 Crée la compagnie Low Cost Niki, qu’il revend en 2011 à l’allemand Air Berlin 2012 Intègre Mercedes, devient président non exécutif de l’écurie de F1 20 mai 2019 Mort à l’âge de 70 ans

FacebookTwitterFacebookLinkedInPinterest